Savva Potapovitch Kouroliessov

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Contexte

Savva Potapovitch Kouroliessov est l'acteur qui récite des extraits du poème Le Chevalier avare du célèbre poète Aleksandr Sergueïevich Pouchkine (1799-1837) dans le rêve de Nikanor Ivanovitch dans le chapitre 15 du Maître et Marguerite. Il est «un homme de haute taille et de complexion charnue, au visage glabre, en habit et cravate blanche».

Pendant sa représentation, Kouroliessov raconta longuement, sur soi-même, «les plus vilaines choses». Nikanor Ivanovitch l'entendit, par exemple, avouer «qu’une malheureuse veuve, sanglotante, s’était traînée à genoux devant lui sous la pluie, mais sans réussir à toucher le cœur endurci de l’artiste».

Dans l'Épilogue du roman, il apparaît que cet «artiste de talent» n'était pas seulement une image de rêve de Nikanor Ivanovitch. Après tout, dans le journal, il lut «un entrefilet encadré de noir» annonçant que l'homme avec ses fréquentes interventions à la radio «venait d’être terrassé en pleine gloire par une attaque».


Prototype

Le nom Kouroliessov aurait pu avoir été dérivé du verbe куролесить [kourolesit], ce qui signifie faire le malin.

Dans Boulgakov déchiffré. Les secrets du Maître et Marguerite, un livre de 2010, l'expert de Boulgakov et auteur de l'Encyclopédie de Boulgakov Boris Vadimovitch Sokolov (°1957) argumente que le personnage de Kouroliessov serait fondé sur Vladimir Ilitch Oulianov (1870-1924), mieux connu sous le nom de Vladimir Ilitch Lénine.

Pour arriver à cette conclusion, il se base sur le fait que ce personnage avait été nommé Ilia Vladimirovitch Akoulinov dans une version antérieure du Maître et Marguerite. Le prénom et le patronyme ou nom de père de ce personnage rappellent en effet Lénine. Le nom Akoulinov serait dérivé du mot latin aquila, qui signifie aigle. L'aigle était l'emblème de la monarchie au moment des tsars, et Lénine a parfois été critiqué pour le fait que son régime a montré des tendances monarchistes. Cela explique aussi pourquoi Kouroliessov lui-même, au chapitre 15, soudainement se mit à s’appeler tantôt Monseigneur, tantôt Baron, tantôt père, tantôt fils, tantôt « vous », tantôt « tu».

En tout cas, le nom Ilia Vladimirovitch Akoulinov aurait été une référence trop claire qui ne passerait jamais la censure. Par conséquent, Boulgakov aurait essayé plusieurs autres noms qui pourraient susciter un sourire des lecteurs sans créer de troubles au niveau de la censure.

D'abord c'est devenu Ilia Potapovitch Bourdasov. Le mot бурда [bourda] signifie saleté, dans le sens d'un mauvais breuvage. Mais finalement, c'est devenu Savva Potapovitch Kouroliessov. Son prénom et son patronyme sont identiques à ceux de Savva Potapovitch Lioukitch, un personnage de la pièce de théâtre L'Île pourpre, écrit par Boulgakov en 1928, où Savva Lioukitch est le commissaire du peuple qui décide quels livres peuvent être imprimés et quelles pièces peuvent être réalisées – et ce qui ne peut pas. Lioukitch était aussi un surnom de Lénine.

Les «vilaines choses» par rapport à cette malheureuse veuve viendraient de l'article Lénine au pouvoir, qui a été publiée en 1933 dans le numéro 45 du magazine Иллюстрированная Россия [Illioustrirovannaïa Rossia] ou La Russie illustrée. Ce magazine hebdomadaire fut publié à Paris et était très populaire parmi les émigrés russes.

L'auteur de cet article s'appelait Летописец [Letopisets] ou le Chroniqueur. Boris Sokolov suppose que c'était un pseudonyme de Boris Georgievitch Bajanov (1900-1982). Bajanov était un membre du Politburo et secrétaire de Joseph Staline de 1923 jusqu'à ce qu'il émigre de l'Union soviétique en 1928. Nous n'avons pas pu lire l'article auquel se réfère Sokolov, et par conséquent, nous ne pouvons pas dire beaucoup plus à ce sujet. Nous pouvons supposer que Mikhaïl Boulgakov aurait pu être au courant de ce qui a été publié dans l'hebdomadaire La Russie illustrée. Son frère Nikolaï Afanasievitch (1898-1966) a vécu à Paris à partir de 1929. Son autre frère Ivan Afanasievitch (1900-1969) l'a rejoint en 1930.

Ce qui est écrit dans l'Épilogue du Maître et Marguerite sur Savva Potapovitch Kouroliessov peut être facilement lié à Lénine. Lénine était en effet connu comme un orateur doué, et il était un fervent partisan de la radio, qu'il a appelé «un journal sans papier et sans distance». Il considérait la radio comme un moyen approprié pour contrôler les masses et pour communiquer efficacement, non seulement avec le peuple russe, mais aussi à l'étranger.

En 1921, la première station de radio qui diffusait quelques heures chaque jour fut créée en Union soviétique. Cependant, la plupart des gens ne pouvait pas se permettre l'achat d'un récepteur coûteux, donc le régime a mis des haut-parleurs partout dans les lieux publics – la voix de lénine pouvait donc être entendue.

Lénine, comme Kourolesov dans Le Maître et Marguerite, a également été frappé par une attaque, même plusieurs fois. La première, en mai 1922, a paralysé le côté droit de son corps. La seconde a suivi en décembre de la même année et la troisième, en mars 1923, l'a privé de sa capacité à parler. Le 21 janvier 1924, il tombedans le coma et il meurt.



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