Marko Fondse

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Source: Marko Fondse (1932 - 1999) a traduit Le maître et Marguerite deux fois, la deuxième fois en collaboration avec Aai Prins, et il a écrit un épilogue intéressant, dans lequel il ne pouvait pas résister à appeler sa traduction «une des plus fiables dans le monde». Est-ce la complaisance? Pas nécessairement. Je ai lu une douzaine de traductions différentes du Maître et Marguerite en six langues, et Marko Fondse est peut-être le plus proche du texte original.

Le maître et Marguerite

Personne ne sera jamais capable de définir le texte final de la rédaction du Maître et Marguerite de Boulgakov, un des romans les plus réputés de la littérature russe de notre siècle, mais seulement publié, gravement mutilé, un quart de siècle après la mort de l'auteur en 1940. Un lecteur attentif aura toujours des questions à propos de quelques fins desserrées, qui proviennent des réécrtures multiples du texte, des raccourcissements et des extensions et, évidemment, aussi de la mort précoce de l'auteur, qui était presque aveugle dans la dernière période de sa vie.

Différent du Roman théâtral de Boulgakov qui s'arrête au milieu d'une phrase, Le maître et Marguerite peut vraiment être considéré comme un œuvre fondamentalement complété.

Boulgakov a travaillé sur le roman de 1928 jusque just avant sa mort le 10 mars 1940, avec de longues intervalles.

Dans un premier concept, le livre était une sorte de diabolade avec une histoire entrecroisée de Ponce Pilate. En 1930, l'auteur, qui n'a pas pu publier plus rien depuis 1925, a détruit son manuscrit inachevé, seulement quelques cahiers avec une version brouillon ont survécu. En 1932 il a repris le fil de ce qui allait devenir son chef-d'œuvre. Pendant ce temps il a connu un énorme changement dans sa vie. Après quelques hauts et bas il avait marrié Elena Sergueïevna Chilovskaïa, qui avait divorcé un officier militaire hautement classé pour lui. Cette même année, Elena Sergueïevna entre dans le roman comme Marguerite. Dans le Livre 1 elle n'est pas encore appelé par son nom, mais dans le Livre 2 elle est le personnage principal. La structure de l'œuvre devient très claire.

Seulement en 1937 le roman reçoit son titre final, quand Boulgakov écrit une première version de manuscrit «propre» et complète, avec indication des chapitres et daté le 22-23 mars 1938. Deux ou trois semaines plus tard il dicte une version dactylographiée, dans laquelle il efface de nouveau de façon implacable, mais il étend aussi et ajoute encore de nouvelles intrigues. Le travail est fait en moins d'un mois. Un an plus tard, il dicte l'Épilogue à sa femme. Mais même après cela, il continue infiniment à faire des changements dans la version dactylographiée et ses copies, un effort dans lequel Elena Sergueïevna a été fort impliquée, puisque presque tous les changements sont dans son ortographe. Quelques notes sur les changements à faire ne pouvaient plus être réalisées, en raison de la mort de l'auteur. C'est pour cela que quelques variantes dans des parties spécifiques du texte ne pouvaient plus être synchronisées avec d'autres. Il y a de dizaines d'exemples de cela.

Après la mort de Boulgakov, Elena Sergueïevna était dans une situation qui peut être comparée à la situation de Nadejda, la veuve de l'auteur 'Osip Mandelstam, avec une différence: Nadejda a dû apprendre par cœur l'œuvre non publiée de son mari, qui était tombé en disgrâce, parce que la seule possession de ses manuscrits pourrait déjà mettre en danger sa vie. Il est inpensable ce qui serait arrivé si Elena Sergeïevna avait été visitée par «un établissement moscovite», comme Boulgakov décrit la police secrète.

Ce que Boulgakov a laissé à sa veuve ne fut rien d'autre qu'un chaos textologique et elle a dû commencer avec ça en tant que tout premier rédacteur. Pour des raisons de sécurité, elle ne pouvait pas considérer de demander quelqu'un d'autre de le faire, mais elle a eu l'avantage d'avoir été présente pendant toutes les phases de la genèse du roman depuis 1932, comme c'est arrivé à Marguerite dans le roman.

Le texte qu'Elena Sergueïevna avait hérité peut être comparé à une partition musicale manuscrite dans laquelle manquent les signes pour les bémols, les dièses, les pauses et les barres de mesure. Un bon rédacteur pourrait compléter la ponctuation musicale sans trop de problème. Mais cela devient difficile, pour ne pas dire impossible, quand le compositeur a oublié de répéter des thèmes secondaires qu'il a présentés auparavant, ou quand il les laisse dans le texte où il a effacé leur introduction originale. La vampire Hella, par exemple, qui a clairement été présentée par le Satan à Marguerite comme un membre estimé de son escorte, joue un rôle important dans le roman, mais elle n'est pas présente au moment que Woland, Korovïev, Azazello et Béhémoth s'envolent avec le maître et Marguerite du mont des Moineaux, bien que les démons subissent une transformation remarquable pendant le vol suivant et bien que les aventures de beaucoup d'autres personnages sont élaborés en détail dans l'Épilogue. Peut-être c'est un résultat du fait que Boulgakov, à part sa propre Marguerite, n'avait pas de co-lecteurs critiques - pour des raisons évidentes, bien sûr.

Entre 1946 et 1966 Elena Sergueïevna a fait six essais pour faire passer le livre par la censure, tous en vain. (Bien qu'elle ait réussi en 1962 avec La vie de Monsieur de Molière, trente ans après son achèvement).

Finalement, une des grosses revues russes, Moskva, a publié une version lourdement mutilée du Livre 1 dans son édition de décembre 1966. Mais dans l'édition suivante, en janvier 1967, il n'y avait plus aucune trace de Boulgakov. Le livre 2 a été publié en février. Ce retard a créé des soupçons et ils étaient appropriés : dans le Livre 1 les censeurs avaient effacé vingt et un passages, dans le Livre 2 il y avait cent trente-huit passages effacés, environ douze pour cent du texte entier. Ce n'étaient pas seulement les sujets politiquement susceptibles qui ont été censurés. Les mœurs sociales ont auss joué un rôlei; toutes les descriptions ou les suggestions de nudité féminine - il y en a beaucoup - ont été barrées sans n'importe quelle justification, comme c'était aussi arrivé à la langue juteuse que Marguerite utilise après qu'elle est devenue une sorcière. Beaucoup de phrases étaient déchirées ou transformées souvent en phrases que personne ne pouvait plus comprendre.

Les premières traductions qui ont été publiées étaient basées sur ce texte lourdement corrompu, mais ils ont provoqué une sensation littéraire mondiale. Pour ma première traduction, publiée par De Arbeiderspers en 1968 je pouvais utiliser le texte de Moskva, mais aussi une copie pas très lisible de ce qui doit avoir été le texte dactylographié d'Elena Sergeïevna, moins les parties coupées. Je ne peux plus vérifier dans quelle mesure les deux textes étaient différentes. Mais, à côté de ces textes, j'ai pus consulter un peu plus tard une publication de Scherz Verlag à Zürich avec les parties effacées du texte, souvent un mot ou la moitié d'une phrase, mais souvent des énormes morceaux de texte aussi. Comme je l'ai appris plus tard, cette publication était basée sur une édition samizdat qui circulait dans l'Union soviétique peu après la publication dans Moskva. J'ai fait ma traduction à Rome et j'ai eu de la chance de l'avoir fait là parce que,, quand j'étais à la moitié, il y était publiée une version italienne avec les morceaux manquants intégrés aux endroits corrects dans le roman - dans l'édition Scherz il n'était pas indiqué où les parties manquantes devraient être mises. Dans l'édition néerlandaise, ces fragments ont été imprimés en italique, comme ils on fait aussi par après dans l'édition russe publiée par Posev (Francfort 1969). J'ai écrit de cette intervention dans mon épilogue de la première traduction néerlandaise:

«Un œuvre qui est fondé sur de tels points de vue [humains] élémentaires ne peut pas être censuré, parce qu'ils sont son levain. Ceux qui veulent couper et coller peuvent seulement enlever les groseilles dures-à-digérer. Dans cette édition ils n'ont pas seulement été remis à la place où ils appartiennent, mais, en accord réciproque avec l'éditeur, il a été décidé de les indiquer dans le texte d'une telle façon que la version néerlandaise est la seule qui montre clairement ce qui s'est passé et où ça s'est passé. Cela ne rend pas le livre plus agréable à lire et il y a un risque que le lecteur prête plus d'attention aux groseilles qu'au pain. Évidemment, cela ne pouvait jamais avoir été l'intention de l'auteur, parce ce que, selon lui, ils appartiennent à l'œuvre entier d'une façon organique. Mais nous n'avons pas souvent l'opportunité de voir comment la censure fonctionne exactement. Et ça vaut l'effort pourregarder la cohérence sans égal de l'unité exceptionnellement compliquée, qui est même plus visible par cette méthode de travail».

Dans les trente ans qui ont passé depuis cette première traduction, beaucoup de choses sont arrivées. La censure a été abolie avec l'Union soviétique comme système de gouvernement. En Russie une génération grandit pour laquelle les atrocités de l'ère de Staline se sont déjà estompées à une telle mesure qu'il est devenu nécessaire d'ajouter des annotations supplémentaires pour les nouveaux lecteurs dans les nouvelles éditions russes du Maître et Marguerite.

Dans ma nouvelle traduction l'impression en italique a été enlevée. Ceux qui s'y intéressent peuvent toujours consulter une des cinq éditions de la traduction précédente.

En fait, il n'y avait déjà plus de raisons pour maintenir l'italique dans la troisième édition de 1975, parce qu'en 1973 une édition non censurée a été publiée à Moscou, dans un recueil avec La Garde Blanche et La Neige Noire. Elle a été basée sur le dernier texte dactylographié d'Elena Sergueïevna de 1963. (Elle n'a jamais eu la chance de voir une publication non censurée elle-même). Selon des rédacteurs ultérieurs ce texte dactylographié pourrait être discuté, non seulement parce qu'Elena Sergeïevna n'avait plus de copie de la rédaction «finale», mais aussi parce que l'éditeur a quelquefois agit de manière assez arbitraire en ce qui concerne la définition du texte.

Seulement en 1989 Lidia Ianovskaïa a pu publier une édition qui pouvait satisfaire aux exigences textologiques les plus sévères, elle a été publiée par Dnipro à Kyïv. Ianovskaïa a reconsidéré le texte tout à fait de nouveau pour une Anthologie quintuple dans la série Choudojestvennaïa Literatura (Moscou, 1990) et cette révision a été la base pour ma traduction actuelle.

Bien que le livre ait eu des commentaires assez exaltés, je n'étais pas trop content de ma traduction après une relecture critique. J'ai dû le faire en six mois de temps, sous une forte pression, en utilisant des textes corrompus qui m'ont troublé souvent et cela n'a pas amélioré après la publication de l'édition russe en 1973 qui était, comme je l'ai dit, pas irréprochable non plus. Mais l'éditeur de l'Arbeiderspers n'a pas aimé mon idée de refaire tout et, franchement, il n'y avait aucune raison pour cela non plus, puisqu'il n'y avait aucune source vraiment sûre de disponible.

Mais j'avais encore d'autres raisons pour proposer une nouvelle traduction. Charles B. Timmer avait trouvé «quelques espiègleries stylistiques» dans ma traduction, mais il était gentil assez pour les décrir comme des «défauts [de mes] qualités». Kees Verheul a cru correctement que j'avais traduit le livre avec l'exagération typique d'un étudiant. C'est pour cela qu'il y a encore eu trois éditions d'un texte que, pour le moins qu'on puisse en dire, je n'aimait pas fort.

Quand l'éditeur G.A. van Oorschot a planifié la publication de l'Anthologie de Boulgakov dans la Bibliothèque russe, j'ai compris que c'était une bonne opportunité pour une révision consciencieuse, peut-être même une traduction complètement nouvelle.

La décision de traduire le livre de nouveau a été facilitée par le slaviste belge J. Rombauts, qui avait comparé ma traduction avec l'édition Dnipro et qui m'a envoyé à plusieures reprises des longues listes de divergences qu'il avait remarquées et pour lesquels je veux exprimer ma gratitude de nouveau.

L'ouverture d'un texte si compliqué n'était pas de sinécure. J'avais besoin d'une main plus sincère et plus énergique que la mienne. Et j'ai eu de la chance de nouveau. Aai Prins, dont j'avais lu la traduction de La Garde Blanche avec beaucoup d'admiration, était disposée à regarder le texte ensemble avec moi, à ré-écrire les passages disparus ou divergés et à purifier le livre de la langue baroque et des plaisanteries non fondées. Elle a fait une première révision consciencieuse, d'où je pouvais commencer, parce que nous avions besoin de plus que juste quelques adaptations. Après cela, j'ai revisé tout de nouveau ensemble avec elle et cinq révisions plus tard le résultat était là. C'est devenu un livre entièrement nouveau. Puisque nous avons pu profiter des résultats de recherches de texte récentes, cette traduction peut être considérée comme une des plus fiables dans le monde. Je veux aussi profiter de l'occasion pour remercier Tom Eekman; il a revu le texte entier également et il a fait des annotations que j'ai utilisées avec beaucoup de reconnaissance. La responabilité du texte final, pourtant, est complètement la mienne.

Marko Fondse

Marko Fondse (1932 - 1999) était un poète et traducteur de russe. Il a remporté le Prix Martinus Nijhoff in 1969, entre autres pour sa traduction en néerlandais du Maître et Marguerite.



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