Devises et berïozkas

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Devises

Dans le chapitre 9 du Maître et Marguerite, Nicanor NIvanovitch Bossoï est arrêté parce que le pot-de-vin qui lui avait été avait offert par Koroviev avait l'air d'être de la devise étrangère. Dans le temps de Boulgakov, les roubles et les tchervontsi soviétiques n'étaient plus de devises convirtables, donc le gouvernement était constamment dans le besoin de devises étrangères pour faire du commerce. Les taux de change pour les étrangers visitant l'Union soviétique étaient extrêmement élevés.

Les citoyens soviétiques n'étaient pas permis d'avoir des devises étrangères L'achat ou la vente des devises étrangères sur le marché noir étaient des crimes sérieux jusqu'à la fin des années quatre-vingt. Le gouvernement a organisé deux campagnes importantes avec des raids sur les maisons privées, des imputations et tout ce qui suit, pour confisquer des bijoux et des objets de valeur des citoyens dans les années 1928-1929 et 1931-1933. Ces campagnes été mis en place par la police secrète notoire, l'Объединённое государственное политическое управление (ОГПУ) [Obedinionnoïe gosoudarstvennoïe polititcheskoïe oupravlenie] (OGPU) ou Direction politique unifiée d'État.

Les валючыки [valioutchiki] ou spéculateurs de devises étrangères suspects étaient mis en prison pendant des semaines jusqu'à ce qu'ils renoncaient «volontairement» à leurs devises et objets de valeur. Les objets confisqués - des bijoux, des icônes, des oeufs de Fabergé, du porcelaine et des manuscrits rares - furent vendus à l'étranger, principalement aux États-Unis. Le régime avait besoin de devises pour importer des marchandises pour le succès des plans quinquennaux. L'historien américain Robert Chadwell Williams (1917-1991) l'a résumé omme suitc: «Tractors were needed more than Titians, Fords more than Fabergé». Des méthodes différentes ont été utilisées pour encourager les prisonniers à renoncer à leurs objets de valeur, parfois on leur donnait de la nourriture avariée et sans eau. Des méthodes encore plus sinistres sont décrites dans Je parle pour le Silencieux (1935) du professeur russe Vladimir Viatcheslavovitch Tchernavine (1887-1949), un contemporain de Mikhaïl Boulgakov.

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Beriozka

Dans les années '30, le régime a également essayé d'obtenir des devises étrangères dans les magasins Torgsin, où tous ceux qui avaient des devises et des objets de valeur pouvaient acheter des biens tels que de la nourriture et des vêtements que les citoyens soviétiques ne trouvaient pas dans les magasins ordinaires. Plus tard, en 1964, la берёзка [beriozka] ou magasin réservé aux devises étrangères a été introduite.

Les magasins ordinaires dans l'Union soviétique avaient des problèmes d'approvisionnement de marchandises et les produits présentés étaient fortement uniformisés. C'était tout à fait normal de faire la queue pendant longtemps pour acheter les choses les plus fondamentales.

Les berözkas ou les magasins de devises par contre avaient une large variété de produits de qualité, souvent de l'étranger, qui devaient être payés avec des dollars ou des coupons spéciaux. Un exemple d'un tel magasin était le Государственный универсальный магазин [Gosoudarstvenni universalni magasin] ou Magasin universel de l'État, maintenant appelé Главный универсальный магазин [Glavni ouniversalni magasin] ou Magasin principal universel sur la Place Rouge à Moscou. Les noms anciens et contemporains sont abrégés ГУМ [GUM].

Les berïozkas étaient gérés par le gouvernement et ils étaient destinés exclusivement aux diplomates étrangers et leurs familles, mais les fonctionnaires du Parti communiste, les bureaucrates du cadre supérieur et d'autres Russes priviligés ayant des devises étrangères ou des coupons spéciaux pourraient entrer aussi. Les auteurs comme Boulgakov, qui recevaient quelquefois des devises étrangères pour la publication de leur travail à l'étranger, étaient même obligés d'y dépenser leurs devises. Boulgakov passait souvent au magasin de devises Torgsin sur le coin d'Arbat et Smolenskaïa, l'endroit où, dans le chapitre 28, Béhémoth a fracassé tout et il a même incendié le bâtiment.

Le problème des devises étrangères n'a pas encore disparu dans la Russie d'aujourd'hui. Il ne ressemble plus à ce qu'il était sous Staline, mais les devises étrangères font toujours l'objet des discussions. Quand au cours des années quatre-vingt une conversion libre de devise était permise, le taux de change s'est effondré de ses valeurs officielles par un facteur de presque 10. C'est pourquoi les Russes expriment souvent la valeur de marchandises durables, maisons ou voyages à l'étranger en dollars américains, bien que tout doit être payé en roubles. L'utilisation du dollar pour exprimer la valeur de choses est une épine dans l'œuil de l'administration de Poutine. En mai de 2006 un projet de loi a été introduit dans le Douma, le parlement russe, à fin d'interdire de telles pratiques. Pourtant, je connais toujours beaucoup de Russes qui reçoivent leurs salaires - ou une partie - en dollars américains ou en euros.


Beriozkas au 21e siècle

La scène du chapitre 27 du Maître et Marguerite, intitulée Les Dernières aventures de Koroviev et Behemoth, dans laquelle les deux aides de Woland mettent en émoi le grand magasin moscovite Torgsin, est redevenue d'actualité à l'été 2022.

De nombreuses marques bien connues étaient plus difficiles à trouver en Russie en raison des sanctions occidentales à la suite de l'invasion russe de l'Ukraine. Les acheteurs ont afflué dans les magasins H&M début août 2022 alors que le détaillant de vêtements suédois a brièvement rouvert ses portes pour une dernière vente d'inventaire avant de quitter le pays pour de bon.

Ainsi, la Russie a relancé la pratique de l'ère soviétique des boutiques hors taxes pour les diplomates étrangers, leur permettant d'acheter des marchandises qui ne sont plus importées en Russie. L'ordre du gouvernement en ce sens a été émis fin juillet 2022. Les magasins pourraient ouvrir à Moscou et à Saint-Pétersbourg peu après l'entrée en vigueur de la loi le 27 août, et ils accepteront les paiements en dollars et en euros.

Sergueï Smirnov, rédacteur en chef du magazine médiatique russe Mediazona, a dit: «Retour complèt en URSS!» Et il a raison, car avec cette pratique, nous sommes une fois de plus dans la politique des boutiques beriozka pour l'élite bureaucratique, que Boulgakov a dénoncée au chapitre 27 du Maître et Marguerite.



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