Woland

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Contexte

Au début du Maître et Marguerite, Woland est présenté comme un étranger, ce qui suscite des sentiments mitigés chez Ivan Nikolaïevitch Ponyrjov (Biezdomny) et Mikhaïl Aleksandrovitch Berlioz, ses premiers contacts à Moscou. On comprendra vite clair pourquoi. Le professeur Woland est hypocrite et rusé, mais peut aussi être noble et généreux. Les contrastes de sa personnalité se reflètent également dans son apparence: «L’œil droit noir, le gauche – on se demande pourquoi – vert. Des sourcils noirs tous deux, mais l’un plus haut que l’autre. Bref: un étranger». Il a dit avoir été présent quand Ponce Pilate a condamné Jésus et il a ajouté qu'il pouvait prédire l'avenir, y compris la décapitation de Berlioz.

Woland et son escorte ont causé un chaos immense à Moscou. Ils ont organisé un spectacle de magie noire au théâtre des Variétés, où ils ont offert des robes splendides à toutes les femmes présentes et où ils ont fait tourbillonner l'argent du plafond. Mais peu de temps après le spectacle, les femmes couraient dans les rues, en hurlant, en sous-vêtements ou complètement nues, et l'argent qui semblait authentique au départ s’est transformé en papier ordinaire. Lors de son bal annuel, Woland laisse tomber son déguisement en tant que professeur et montre qu'il est le diable. Après le bal, lui et son escorte partent vers le monde souterrain sur des étalons noirs.


Le diable à Moscou

Dans le livre My Life with Mikhail Bulgakov ou Ma vie avec Mikhaïl Boulgakov, écrit en 1968-1969 par Lioubov Ievguenievna Belozerskaïa (1894-1987), la deuxième épouse de Mikhaïl Boulgakov, l'on peut lire que Boulgakov a eu l'idée d'écrire un roman sur le diable à Moscou grâce à Natalia Abramovna Liamina-Ouchakova (1899-1990), épouse de son meilleur ami Nikolaï Nikolaïevitch Liamine (1892-1941).

Natalia avait conçu la couverture du livre Venediktov, ou les événements mémorables de ma vie, une histoire de 64 pages écrites par le professeur Aleksandr Vasilievitch Tchaïanov (1888-1937) en 1922. Elle était stupéfaite de voir que le héros de l'histoire de Tchaïanov, dans laquelle Satan se présente à Moscou, s'appelait Boulgakov. Et Mikhaïl Boulgakov était «non moins stupéfait par cette coïncidence».


Le nom

Le nom Woland n’est pas russe du tout. C'est une variante du nom du démon dans le Faust de Johan Wolfgang von Goethe (1749-1842): le chevalier Volant. Dans le Faust, le diable s'appelle Méphistophélès, mais à la nuit infâme de Walpurgis, il s'appelle lui-même une fois Volant: «Platz! Junker Voland kommt!» ou «Place! c'est M. Volant qui vient!».

Dans les versions successives du Maître et Marguerite que Boulgakov a écrites, Woland a changé de nom plusieurs fois. Dans la première version, Le magicien noir, de 1928-1929, il se faisait appeler professeur Veljar Veljarovich Woland. Dans la deuxième version de 1929, un docteur étrange a remis au poète Ivanouchka Bezrodny ou Ivanouchka Sans famille une carte de visite avec le nom «D-r Theodor Voland». Le plus frappant était que Boulgakov n'a pas écrit ce nom en caractères cyrilliques comme l'on pouvait s'y attendre dans un texte russe, mais qu'il a utilisé des caractères latins. «Une carte bourgeoise», fut alors la première pensée du jeune poète. Le prénom Theodor vient du grec Θεόδωρος [Theodoros] et cela signifie le don de Dieu.

Dans une version ultérieure du roman, Woland avait un autre prénom, il était présenté comme  господин Азазелло Воланд [gospodin Azazello Woland] ou seigneur Azazello Woland. Le démon que nous connaissons maintenant sous le nom d'Azazello s'appelait Fiello dans cette version. Ce n’est qu’en 1934 que les noms définitifs de Woland et Azazello ont été fixés.


Un étranger

Au début du roman, Woland est présenté comme un étranger mystérieux et un professeur qui se rend à Moscou et qui provoque tous les événements du roman. Ses origines n'étaient pas très claires.

Ivan Biezdomny a d'abord supposé à l'étang du patriarche qu'il était un allemand. Mais peut-être voulait-il juste dire qu'il était un étranger. Les Russes utilisent, en général, le mot le mot иностранец [inostraniets] pour indiquer un étranger. Mais dans le passé le mot немец [nemiets] a aussi été utilisé. Ce dernier mot signifiait, outre un allemand, aussi un étranger. Ainsi, quand Ivan demande à Woland dans le premier chapitre: «Вы немец?» [Vi nemets?], cela peut être traduit par «êtes-vous allemand?» mais aussi par «êtes-vous un étranger?» Немец [nemiets] vient du verbe неметь [nemiet], ce qui signifie devenir muet. Par conséquent, un nemiets est une personne muette, dans le sens de quelqu'un qui ne parle pas russe.

Mikhaïl Boulgakov a voulu consciemment présenter Woland comme un «inconnu». Il voulait éviter que le lecteur comprenne immédiatement que c’ètait le diable. Le 26 avril 1939, par exemple, il avait chez lui le dramaturge Alekseï Mikhailovitch Faïko (1893-1978) et les critiques de théâtre Vitali Iakovlevitch Vilenkine (1911-1997) et Pavel Markov Aleksandrovitch (1897-1980). Ce soir-là, il leur a lu le début du roman. Puis il a demandé: «Selon vous, qui est Woland?» Vilenkine a répondu qu'il le savait et il a écrit le mot «Satan» sur une note. Mais «un écouteur qualifié» comme Alekseï Faïko n'a pas pu le deviner immédiatement, à la grande satisfaction de Boulgakov.

Le titre du premier chapitre se lit comme «Ne parlez jamais à des inconnus» ou «Ne parlez jamais à des étrangers». Ceux-ci  éveillaient en Union soviétique la curiosité et la méfiance. Parce qu'ils représentaient la belle apparence et l’attirance de l'étranger, mais en même temps un risque d'espionnage.

Aujourd’hui encore, beaucoup de Russes ne savent pas bien comment répondre aux étrangers. Même dans la métropole de Moscou, beaucoup de gens ne parlent encore que le russe. Quand un étranger leur parle, même si c'est juste pour demander le chemin, ils se détournent souvent. En Belgique, mon pays d'origine, il n'est pas exceptionnel que quelqu'un vous parle dans une langue étrangère. Après tout, lorsque vous conduisez une heure à partir de ma ville natale de Louvain vers n'importe quelle direction, vous arrivez à l'étranger. De Moscou, par contre, vous devez voyager des milliers de kilomètres avant de rencontrer des gens qui ne parlent pas russe, et la plupart des Russes ne sont jamais allés en dehors de la Russie – ou du moins en dehors de l'ex-Union soviétique.

Par ailleurs, vous trouverez rarement des gens avec une couleur de peau noire en Russie. Quand un Moscovite parle d'un «noir», il ne parle pas d'une personne avec une peau noire, mais de quelqu'un avec des «cheveux noirs », une personne du Caucase.


Prototype

Ailleurs dan ce livre, vous pouvez lire que certaines personnages bibliques du Maître et Marguerite tels que Yeshoua Ha-Nozri et Yehouda de Kerioth ne correspondent pas vraiment à leurs prototypes de la doctrine chrétienne canonique. La même chose s'applique à Woland dans une large mesure.

Le prototype de Woland est Satan, le diable, le chef des anges déchus rebelles qui ont été jetés du ciel par Dieu quand ils se sont rebellés contre lui. Il a depuis été le maître des forces des ténèbres, qui pousse les gens à pécher. Il personnifie le mal, le faux et les forces noires, et en se déguisant, il peut tromper les gens sans être reconnu.

Dans Le Maître et Marguerite, Woland a une image totalement différente. Il est honnête et même noble dans un certain degré, et personnifie la justice dans le roman. Satan fait de fausses promesses, mais Woland fait ce qu'il promet, et même plus. Marguerite a non seulement retrouvé son maître, mais elle a aussi été autorisée à libérer Frieda de son mouchoir.Là où Satan essaie de séduire les gens dans des actes immoraux comme la cupidité, la condamnation, la cruauté, la corruption, etc., Woland punit ce genre de choses. Mais il le fait avec une certaine gentillesse pour ceux qui ne montrent aucune vraie colère.Bengalski, le maître des cérémonies au théâtre des Variétés, est décapité mais pas pour longtemps, et personne n'a été blessé dans la fusillade avec Béhémoth dans le lustre. Mais pour les idéologues durs du communisme, Woland est moins aimable, comme Mikhaïl Berlioz et le baron Meigel en feront l'expérience.


Autres idées de prototypes

Certains pensent que le personnage de Woland est une parodie sur Joseph Vissarionovitch Staline (1878-1953). Il y a effectivement des similarités. Tout comme Staline a sauvé Boulgakov alors qu’il en éliminait d'autres inconditionnellement, Woland sauve le maître pendant qu'il punit d’autres personnages. Et Staline a été renvoyé du séminaire orthodoxe russe de Tbilissi en 1899, comme Satan, en tant qu'ange déchu, a été expulsé du ciel.

Dans son livre Эрос невозможного. История психоанализа в России [Eros nevozmojnogo. Istoria psichoanaliza v Rossii] ou Eros de l’impossible. L'histoire de la psychanalyse en Russie de 1993, le psychologue et philosophe russe Aleksandr Etkind (°1955), professeur au Département d'histoire et de civilisation de l'Institut universitaire européen de Florence, en Italie, suggère que le prototype de Woland aurait été William Christian Bullitt Jr. (1891-1967)

Bullitt était l'ambassadeur américain en Union soviétique de 1933 à 1936, qui devint célèbre pour les réceptions qu'il organisait régulièrement à la maison Spaso, sa résidence à Moscou, et qui inspirèrent Boulgakov à décrire le bal de Woland dans Le Maître et Marguerite. Il est étrange que Etkind soutienne sa thèse, par exemple, en observant une ressemblance physique entre Woland et Bullitt: «Буллит тоже был лыс...» [Boullit toje byl lys], il a écrit, ou «Bullitt était aussi chauve». Mais Woland n'était pas chauve dans Le Maître et Marguerite, il était «Брюнет» [Brjounet] ou «aux cheveux châtains». Je me demande donc si quelqu'un qui ne lit pas bien ce qui est écrit peut formuler des conclusions fiables sur ce qui n'est pas écrit.

Le philologue ukrainien entêté Alfred Nikolaïevitch Barkov (1941-2004) a cru que Vladimir Illitch Lenine (1870-1924) était le prototype de Woland. Le maître serait alors l'auteur russe Maksime Gorki (1868-1936). Et Marguerite serait inspirée par Maria Fiodorovna Iourkovskaïa, une actrice du théâtre d’art de Moscou MKhAT, connu sous le pseudonyme Maria Andreïeva. Elle était la maîtresse de Gorki. Toujours selon Barkov, Marguerite aurait été alors une prostituée qui aurait été envoyée au maître par Woland - en tant que personnification de Vladimir Lénine.



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