Bolchaïa Sadovaïa 302-bis

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Woland et son escorte emménagent dans l'appartement numéro 50 de la rue Bolchaïa Sadovaïa n° 302-bis. Ce bâtiment joue un rôle important, non seulement dans Le Maître et Marguerite, mais aussi dans la vie personnelle de Boulgakov. En réalité le numéro de la maison est le n° 10. Mais Boulgakov aimait compliquer les numéros ou les noms d'institutions officielles pour dénoncer la bureaucratie soviétique.


La maison de Pigit

À l'origine, ce bâtiment fut destiné à la location d'appartements de luxe. Il a été construit entre 1902 et 1905 par ordre du millionnaire russe Ilia Davidovich Pigit (1851-1915), le propriétaire de la compagnie de tabac Ducat. Le bâtiment a été construit dans leprétendu  style Art nouveau russe à un moment où Moscou est entré en pleine floraison et de nombreuses nouvelles avenues, bordées d'arbres, ont été aménagées. La rue Bolchaïa Sadovaïa ou la grande rue du Jardin était une de ces avenues, et faisait partie de la Ceinture des Jardins autour du centre de Moscou. En juin 1917, juste avant la Révolution d'octobre, Ilia Pigit a vendu l'immeuble à une société immobilière privée. Ce fut une bonne décision, parce que, après la révolution, le nouveau régime soviétique a confisqué la maison pour la transformer en l'un des premiers bâtiments d'appartements communaux à Moscou. En 1938, le bâtiment a perdu beaucoup de son charme original quand le jardin de devant a été démoli pour faire place pour un élargissement de la rue.

Boulgakov a vécu ici dans l'appartement numéro 50 avec sa première femme Tatiana Nikolaïevna Lappa (1892-1982) de 1921 à 1924. En été 1924 il a réussi déménager au numéro 34 dans un appartement beaucoup plus agréable au cinquième étage, dont il a aussi utilisé quelques caractéristiques dans sa description de l'appartement numéro 50 dans le roman.

Tatiana Nikolaïevna a compris plus tard que Boulgakov avait pris toutes les dispositions pour ce déménagement en garantissant qu'elle ne serait pas laissée dans un environnement désagréable, car à peine quelques mois plus tard il lui-même a quitté le bâtiment pour déménager chez Lioubov Ievguenievna Belozerskaïa (1895-1987) avec qui il se mariera en avril 1925.

Il y avait un café dans la cave, Les Stables de Pegase, où le poète russe Sergueï Aleksandrovitch Iessénine (1895-1925) a rencontré sa future femme, la danseuse américaine Isadora Duncan (1877-1927).

Dans Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov décrit ce bâtiment comme нехорошая квартирка [nekhorochaïa kvartirka] ou le mauvais appartement. En anglais ce terme est traduit comme the haunted flat (Glenny) ou l'appartement hanté, ou the evil appartment (Pevear et Volokhonski) ou l'appartement maléfique.

Dans le roman, les habitants de l'appartement numéro 50 sont des gens assez intelligents, comme Mikhaïl Aleksandrovitch Berlioz et Stepan (Stiopa) Bogdanovitch Likhodeïev, mais la réalité était beaucoup moins rose. Quand Boulgakov vivait dans cet appartement, il a décrit la maison comme «un cauchemar où les pièces sont horribles et les voisins aussi». Il a utilisé ce bâtiment dans plus qu'une de ses histoires.

Les Boulgakov n'ont pas vécu touts seuls dans l'appartement numéro 50. C'était ce qu'on appelait une коридорная система [korridornaïa sistema], ce qui pourrait être traduit comme un système de corridor. Quand on entrait dans l'appartement, on voyait un corridor avec des deux côtés les portes des locaux des différents occupants qui disposaient d’une ou de deux pièces, selon la grandeur de la famille. La salle de bain, les toilettes et la cuisine étaient communes.

Les sentiments de Boulgakov vis-à-vis de l'appartement numéro 50 sont clairement décrits dans un petit vers qu'il a ajouté comme un post scriptum dans une lettre à sa soeur Nadejda (1893-1971) le 23 octobre 1921:

Sur le Grande Sadovaïa
Il y a une maison grande comme ça.
La maison est habitée de nos frères:
Les valeureux prolétaires.
Au milieu de ce prolétariat,
Perdu comme un malheureux atome (excusez l’expression), il y a moi.
Il manque bien quelques commodités,
Le W...r Cl...t, par exemple, est bouché
Avec le lavabo aussi, c’est un vrai malheur:
Le jour il est à sec, la nuit l’eau coule par-dessus bord

On fait bien modeste chère
Saccharine et pommes de terre.
La lumière électrique est de marque bizarre.
Elle s’éteint puis, on ne sait pas pourquoi, elle se rallume dare-dare.
À vrai dire, depuis quelques jours elle brûle tout le temps.
Le prolétariat est bien content.

Derrière la cloison gauche, “Ô pauvre mouette”, chante une diva
Derrière la cloison droite, on joue de la balalaïka...


Site de pèlerinage et de graffiti

Longuement avant la création des deux musées de Boulgakov dans l’immeuble, cet endroit est devenu un site de pèlerinage pour ses adeptes, qui avaient embelli la cage d'escalier avec des dessins et des citations du Maître et Marguerite.

Malgré des critiques fermes dans la Pravda, le journal du parti communiste, la pièce est restée au répertoire du théâtre jusqu'en mai 1984, quand elle a été interdite. Iouri Lioubimov a été démissionné et il a perdu sa citoyenneté soviétique. Depuis ce moment le nombre de graffiti dans la maison de Boulgakov n’a cessé d’augmenter. Certains graffiti demandaient que la maison soit transformée en musée: «Faites de l'appartement numéro 50 un musée consacré à Woland et d'autres forces impures». L'appartement 50 était occupé par des artistes graphiques travaillant dans un bureau de design. Ils ont ouvert leurs portes aux admirateurs de Boulgakov et les auteurs de graffiti ont reçu l’autorisation de mettre leurs dessins, poèmes et d'autres dires sur les murs. Les graffiti occupaient la cage de l'escalier tout entière jusqu'à l'appartement. C'était la première phase dans le processus de création d'un espace pour l'auteur oublié, mais surtout une déclaration spontanée montrant qu'il était toujours vivant dans beaucoup de cœurs.

Une explication des graffiti est disponible dans les archives du site


Entre 1984 et 1986 le bâtiment, l'escalier et l'appartement étaient le champ de bataille entre les fonctionnaires, le concierge de la maison et les auteurs des graffiti. Les graffiti ont été complètement occultées et recouverts de  peinture, mais la «raclure» revenait toujours pour remettre les graffiti et des nouvelles exigences. Le concierge a changé le code de sécurité à l'entrée plus d'une fois, mais elle a été décodée chaque fois. Finalement les fonctionnaires ont renoncé. Au printemps 1988 les autorités de la ville ont donné l’autorisation d’y organiser un musée officiel, mais la réalisation de ce projet a pris beaucoup de temps.

Il y avait, en effet, une énorme différence entre les objectifs des activistes et les attentes des autorités de la ville. L'escalier et les appartements étaient entièrement consacrés au maître et à Marguerite. Les activistes ont voulu un musée dévoué au roman et à son contexte. L'auteur était présent, mais à l'arrière-plan. La ville voulait un musée de Boulgakov. L'idée d'un musée consacré au Maître et Marguerite était trop risquée. Parce que cela pouvait susciter des voix que l'on ne souhaitait pas entendre.

Aujourd'hui la plupart des graffiti ont disparu de nouveau. Le 22 décembre 2006 il y a eu un incident dans la maison à la rue Bolchaïa Sadovaïa n° 10: un adversaire ardent de Boulgakov, Aleksandr Morozov, avait peinturluré les graffiti avec des pulvérisateurs. Il était impossible d'enlever les dévastations sans nuire aux graffiti, donc l'escalier a été repeint dans une couleur vert pâle, seuls quelques graffiti ont pu être sauvés.

Cliquez ici pour regarder l'escalier avant les actes de vandalisme


À l'entrée du bâtiment vous pouvez admirer des fresques à grandes dimensions. Ce sont des copies d'illustrations faites par Pavel Andreïevitch Orinianski (°1955), sans doute un des illustrateurs russes les plus réputés du Maître et de Marguerite.

Cliquez ici pour regarder les illustrations de Pavel Orinianski

Rivalité

Au début du XXIème siècle, le bâtiment entier a été rénové et au début de 2004, quelques admirateurs de Boulgakov ont réussi à transformer l'appartement en musée. Tout cela a très bien commencé le 14 mai 2004 avec plus de 500 personnes à la réception, mais il y a eu ensuite de désaccords entre les pioniers et aujourd’hui il y a deux musées concurrents dans le même bâtiment.


La Maison de Boulgakov

Le premier musée est la maison de Boulgakov. Il est situé au rez-de-chaussée, à l'entrée du bâtiment. Le nom officiel est Музей – театр «Булгаковский Дом» [Mouseï-teatr Boulgakovski Dom] ou Musée-théâtre maison de Boulgakov. Ce musée est dirigé par une équipe de jeunes enthousiastes, qui prend de nombreuses initiatives telles que l'organisation d’excursions de Boulgakov (jour et nuit) et d’expositions, l'exploitation du Café 302-bis et l'herbergement du théâtre de Boulgakov.

Ils organisent beaucoup de manifestations culturelles. Un détail particulier: l'entrepôt de la maison de Boulgakov et de l'atelier du théâtre d'enfants sont situés dans l'appartement numéro 51, directement en face de l'entrée de l'appartement numéro 50, où résident leurs rivaux. En décembre 2006, cet appartement a fait l'objet d'un pogrom d'Aleksandr Morozov mentionné ci-dessus, ce qui a leur causé des dommages pour la somme de 100.000 dollars. Dans la section Archives du site, vous pouvez lire plus sur ce personnage. Les liens peuvent être trouvés dans le menu à la droite de cette page.


Le Musée M.A. Boulgakov

L'autre musée est le Государственное учреждение культуры города Москвы «Музей М.А. Булгакова» [Gosoudarstvennoïe outchrejdenie koultoury goroda Moskvy «Muzeï M.A. Boulgakova»] ou l'Institut d'État pour la culture de Moscou «Musée M.A. Boulgakov». Depuis le 27 mars 2007, il est effectivement situé dans l'appartement numéro 50 où Boulgakov a vécu pendant deux ou trois ans et où plusieurs scènes du Maître et Marguerite sont situées. L'espace d'exposition de la fondation de Boulgakov semblait un peu vide et a été aménagé avec peu d'imagination, mais cela va s'améliorant. L'équipe derrière la fondation montre moins de dynamisme que ses voisins de la maison de Boulgakov mais ils ont un avantage réel: ils sont officiellement reconnu comme «musée de la ville de Moscou».

Comme leurs voisins d'en bas de la maison de Boulgakov, les fondateurs du musée M.A. Boulgakov ont également commencé à organiser des excursions et des représentations théâtrales.

La rivalité entre les deux musées offre parfois de belles scènes qui pourraient venir du Maître et Marguerite. Les initiateurs du musée M.A. Boulgakov fonctionnent parfois comme dans une organisation à la Griboïedov. Sur la première page de leur site web ils écrivent de manière assez pompeuse qu'ils sont «le premier musée à la mémoire de Mikhaïl Boulgakov» à Moscou. Bien que les visiteurs, pour pouvoir se rendre chez eux, doivent passer devant la porte de la maison de Boulgakov qui a été fondée trois ans plus tôt. Mais il faut reconnaître qu’ils ont un site web en anglais, alors que les autres n’en ont pas.

Personnellement je trouve dommage que tant d'énergie est gaspillée et que cette rivalité se poursuit de manière obstinée. Une combinaison de l'énergie et de l'enthousiasme de la maison de Boulgakov d'en bas – fort appréciée par la presse et le public – avec le réseautage et les droits sur l'appartement de la fondation de Boulgakov de ceux d'en haut – clairement appréciés par les autorités de la ville de Moscou – donnerait tout de suite une attraction différente et magique à cet endroit. Peut-être Woland devrait revenir pour régler certaines choses.


Derniers développements

Peut-être Woland parle-t-il italien? Le 14 mai 2012, la directrice du musée M.A. Boulgakov, Inna Omarovna Michina, a été licenciée en raison de luttes internes. Ce fut à la grande consternation de sa sœur Marietta Omarovna Tchoudakova (1937-2021), auteur, critique et historienne célèbre à Moscou.

Après le licenciement, le Département de la culture de la ville de Moscou a organisé un concours pour confier la gestion du musée au gagnant. Quatre équipes, y compris les rivaux de la maison de Boulgakov, ont atteint la finale. Le gagnant fut l'architecte italien Gabriele Filippini et son épouse russe Olga Moskvina. Ils ont déclaré qu'ils ont prévu un rôle pour Marietta Tchoudakova dans leur projet et qu'ils voulaient établir un partenariat avec la maison de Boulgakov. Cette déclaration date du 9 octobre 2012. Ce livre a été publié le 1er mars 2023 et rien n'a changé jusqu'à présent...



Музей - театр «Булгаковский Дом»
Musée-théâtre Maison de Boulgakov
Bolchaïa Sadovaïa ulitsa no. 10
Tél:  +7 (495) 970-06-19
Excursions: +7 (495) 970-06-19
Théâtre: +7 (495) 775-94-61
Ouvert: tous les jours de 13h00 à 23h00
Vendredi et samedi de 13h00 à 01h00
Entrée gratuite

Site web de la Maison de Boulgakov


Музей М.А. Булгакова

Musée M.A. Boulgakov
Bolchaïa Sadovaïa ulitsa no. 10
Tél:  +7 (495) 699-53-66
Ouvert de 12h00 à 19h00
Jeudi de 14h00 à 21h00
Lundi: fermé
Utilisez la sonnerie du numéro 50
Adultes 150 roubles
Les étudiants et les retraités 50 roubles
Entrée gratuite chaque troisième dimanche du mois

Site web du Musée M.A. Boulgakov


Métro: Маяковская
(Mayakovskaya)



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